Figure incontournable du photojournalisme italien, Letizia Battaglia (1935–2022) a fait de la photographie un instrument de lutte sociale et politique. Engagée contre les violences de la mafia sicilienne et les inégalités sociales, elle a documenté pendant plus de vingt ans la réalité sanglante de Palerme, devenant l’un des visages les plus marquants de la photographie engagée du XXe siècle.
Sa carrière débute en 1969 au sein du journal L’Ora, où elle commence à photographier par manque de photographe disponible. Ce premier contact avec l’image devient un engagement profond : après un passage formateur à Milan, elle revient en 1974 à Palerme pour y diriger le service photo du quotidien. Elle y crée un collectif de photographes pour assurer une couverture constante de l’actualité locale, dans une Sicile secouée par les règlements de compte mafieux.

Via Calderai. Palerme, 1991 © Letizia Battaglia

Boris Giuliano, chef de la Squadra mobile [Brigade mobile], sur les lieux d’un meurtre à Piazza del Carmine. Palerme, 1978 © Letizia Battaglia
Letizia Battaglia photographie les meurtres, la misère, la corruption, mais aussi les visages de la résistance. Munie d’un simple boîtier Pentax, elle immortalise une époque marquée par la violence. En parallèle de son travail de terrain, elle fonde en 1977 avec Franco Zecchin le Laboratorio d’IF, une galerie photographique à Palerme qui expose autant les jeunes talents locaux que des photographes internationaux majeurs, comme Josef Koudelka ou Mary Ellen Mark.
En 1985, elle devient la première femme européenne lauréate du prestigieux prix W. Eugene Smith pour son travail sur les conséquences sociales de la mafia. Ce prix consacre une œuvre où la photographie devient un acte de résistance. Très impliquée dans la vie publique, elle siège un temps au conseil municipal de Palerme et à l’assemblée régionale sicilienne, poursuivant son combat pour une société plus juste.

Casa Professa. La riche épouse trébuche sur le voile. Palerme, 1980 © Letizia Battaglia

Le magistrat Roberto Scarpinato avec son escorte sur le toit du tribunal. Palerme, 1998 © Letizia Battaglia
Après les assassinats des juges Falcone et Borsellino en 1992, elle abandonne la couverture des scènes de crime et oriente sa pratique vers des travaux plus introspectifs et symboliques, cherchant à redonner une forme de poésie à ses images. En 2017, elle fonde le Centre International de la Photographie de Palerme, un projet qu’elle porte depuis 40 ans, symbole de son engagement pour une culture accessible et militante.
Si Letizia Battaglia a souvent exprimé l’ambivalence de son rapport à la photographie, c’est bien par l’image qu’elle a conquis sa liberté et offert une voix aux invisibles. Son œuvre, à la fois documentaire et profondément humaine, demeure un acte de mémoire et de révolte.