Introduction
Alexandra Pouzet a été sélectionnée pour intégrer le programme 2024 de résidence Elles & Cité. Une résidence de recherche destinée aux femmes photographes en milieu de carrière, basées hors de la région Île-de-France. Andréanne Béguin, commissaire d’exposition et critique d’art, l’a accompagnée pour développer la suite d’un projet autour des objets d'art et des traditions populaires. Cette résidence a permis à Alexandra d’avoir accès à des ressources intellectuelles et artistiques importantes, pour poursuivre un travail entamé à travers deux autres séries. Rencontre.
En détails
Alexandra, pouvez-vous présenter votre projet de résidence ?
Alexandra Pouzet : Je souhaitais développer un projet dans la continuité de deux précédentes séries sur les formes et les gestes paysans. La première série, "Presque René Montagne", associait des portraits de résidents d'un Ehpad, avec des portraits d'objets de la vie rurale issus des collections de l'Ecomusée de Cuzals. Ces objets étaient en fin de vie, ils n'avaient pas pu être réparés, ils étaient trop abîmés pour être conservés et partaient à la déchèterie., un parallèle se dessinait entre ces objets qu'on ne voit plus beaucoup et nos anciens que l’on met à l’écart… La seconde série appelée « Poun naou », est un travail de portraits que j’ai réalisé dans un village des Hautes-Pyrénées, à partir des objets personnels des habitants, une sorte de mélange entre traditions populaires et objets modernes ou contemporains. Je voulais donc poursuivre mes recherches dans cette thématique d’objets d'art et tradition populaire.
Durant ces 3 mois de résidence à Paris, vous avez pu accéder à certains fonds, où avez-vous réalisé vos recherches ?
A. P. : Sandrine Ayrole, au ministère de la Culture ,m’a parlé d’une réserve issue de l'histoire maraîchère de la ceinture nord de Paris au Centre culturel de la Courneuve. J’y ai reçu un merveilleux accueil et j’ai pu accéder à toute leur collection. J’ai donc pu continuer à assembler et photographier ces divers objets dans une sorte de langage formel. J’ai exploré les collections du Centre Pompidou et celles du Musée du Quai Branly. J’avais en tête ce questionnement autour du constat que les arts et traditions populaires ont été évincés de l'histoire de l'art moderne et comprendre pourquoi ces objets, contrairement aux arts premiers qui en sont très proches, avaient été victimes d'une déclassification artistique. Cela a vraiment fait partie de ma recherche d’essayer de comprendre pourquoi ce que moi j'appelle « les arts paysans » sont si absents de la scène artistique française.
Je suis partie à la rencontre de Valentina, une maraîchère au Jardin21 à Paris, une friche végétale et culturelle du 19e arrondissement de Paris, qui propose des ateliers gratuits d’anthotypes, des tirages photographiques réalisés à base de jus végétaux. Aux archives de la Courneuve, j'ai exhumé de nombreuses photographies et y ai récupéré de vieux portraits de paysans que j'ai retirés sur les principes de l'anthotype. Andréanne m'a mise en contact avec son maraîcher, Nicolas Framery pour que je puisse travailler à partir de ses légumes.
Andréanne, vous êtes commissaire d'exposition et critique d'art. Quel est votre retour d'expérience sur votre rôle d’accompagnante dans cette résidence ?
Andréanne Béguin : ce type d’accompagnement permet de se plonger pleinement dans une pratique artistique et d'en suivre l'évolution. Je pense aussi que ce format de trois mois, permet d'aller bien plus en profondeur et d’avoir un suivi. C'était très réjouissant d'avoir le récit des rencontres qui progressait de semaine en semaine. J'avais aussi l'impression de vivre les aventures d’Alexandra. Je trouve que cela permet une belle proximité et aussi de créer des liens pour l’après, parce qu'on continue de travailler ensemble avec Alexandra.
Comment avez-vous organisé ce travail d’accompagnement ?
A. P. : Notre binôme n’a pas été formé au début de la résidence. C’est la Cité des Arts qui choisit le mentor qui nous accompagne, il se trouve que le choix initial n'a pas fonctionné me concernant. Je venais tout juste de rencontrer Andréanne par l’intermédiaire de Thomas Delamarre, directeur du centre d’art de Cajarc et nous travaillions toutes les deux sur des thématiques proches. J’ai donc proposé à la Cité d’être accompagnée par Andréanne. On s'est donné rendez-vous chaque semaine. Ces échanges nous permettaient de ne pas lâcher le fil. Andréanne me guidait à travers mes questionnements et ma pratique. Notre collaboration a été une véritable évidence.
A. B. : Il y a eu plusieurs niveaux de discussions, ceux concentrés sur les rencontres et les recherches, et les phases à l'extérieur de la Cité. Un niveau de discussion sur les résultats formels de ses recherches, comme par exemple le fait que je lui ai suggéré la technique de l'anthotype qui me semblait correspondre aux enjeux de sa pratique. Ensuite, un autre niveau de discussion sur la restitution à la Cité pour savoir quelles formes cela allait prendre. Je trouve que le mot restitution est un peu faible par rapport à ce qu’Alexandra a présenté, il y a eu une vraie réflexion d'accrochage et la mise en cohérence des différents axes de recherche et des résultats formels produits.
Le texte qui accompagnait cette restitution a été nourri par des échanges plus conceptuels, théoriques et philosophiques sur l'art pauvre, l'art populaire et le traitement des collections ethnographiques. Tout ce travail m'a fait avancer dans un projet que je mène parallèlement autour d’un fonds ethnographique et pour lequel j'ai invité Alexandra.
Alexandra, quel est votre retour d'expérience en tant que photographe ayant bénéficié de cette résidence et de cet accompagnement ? Auriez-vous des conseils à donner aux femmes photographes qui aimeraient participer à cette résidence spécifique ?
A. P. : C’est un contexte de travail merveilleux. Les conditions sont vraiment idéales. Il faut imaginer un lieu réunissant 300 artistes : il y a beaucoup de monde, et j'ai adoré profiter à la fois d’un espace personnel tout en échangeant avec les personnes autour de moi. Certaines personnes peuvent souffrir de solitude ou d’isolement, mais dans ce dispositif, l’accompagné est essentiel. Les rendez-vous que j’avais avec Andréanne ponctuaient mon travail, on n’est pas seule, perdue à se demander par où il faut commencer. C’est précieux. Le conseil que je donnerais aux femmes photographes participantes serait d’être très attentives à la personne qui les accompagne.
Elles & Cité est un programme de résidences de recherche et de création dédié aux femmes photographes en milieu de carrière, basées en dehors de la région Ile-de-France. A l’initiative et avec le soutien du ministère de la Culture et de la Cité internationale des arts, Elles & Cité reçoit également le soutien de la Fondation d’entreprise Neuflize OBC et de l’ADAGP.
Autrices, Auteurs
Ericka Weidmann