Introduction
La photographe Elise Fitte-Duval, venue de Fort-de-France, est l’une des six lauréates 2024 du programme de résidence Elles & Cité. Une résidence de recherche à destination des femmes photographes en milieu de carrière basées hors de la région Île-de-France. Accompagnée de son mentor, Eric Degoutte, directeur du centre d'art Les Tanneries, elle a pu développer son projet « L’autre moi » mêlant photographies de paysages dans le bassin de la Loire et portraits et témoignages de femmes afrodescendantes. Rencontre avec la photographe et son mentor.
En détails
Elise, quel projet avez-vous souhaité développer lors de cette résidence ?
Elise Fitte-Duval : Je souhaitais aborder la résonnance coloniale dans la société française en réalisant le portrait de femmes afrodescendantes, soit Antillaises, soit Africaines, et qu'elles me racontent leur parcours et leur insertion dans la société française. Pour des raisons graphiques mais aussi pour contextualiser le sujet historiquement, je souhaitais réaliser ce projet dans un lieu qui parle de l'histoire des colonies. Avec le concours d’Eric Degoutte, j'ai choisi de me fixer sur le bassin de la Loire et de réaliser des collages pour faire le lien entre l'histoire passée et le parcours de vie des gens aujourd’hui. Je me suis promenée sur les bords de Loire pour photographier des paysages et je suis revenue à Paris pour réaliser les portraits et recueillir le témoignage de femmes qui ont accepté de participer au projet.
Ces trois mois de résidence ont-ils permis de finaliser ce projet où est-ce encore un travail en cours ?
E. F. D. : Le projet n’est pas terminé, c'était un vrai challenge d’aborder ces deux approches simultanément, à la fois dans le bassin de la Loire et à Paris, deux endroits différents que je ne connaissais pas. Trois mois c’est une période très courte et je pense avoir encore besoin de m’approprier les lieux et d’explorer davantage ce territoire.
Partir à la rencontre de toutes ces femmes prend également du temps. Je vais poursuivre ce travail en me concentrant sur les femmes antillaises, celles qui vivent entre la Martinique ou la Guadeloupe et la France. D'ailleurs, j'ai déjà rendez-vous en Martinique avec une femme que j’ai rencontrée ici, pour réaliser de nouveaux portraits en studio.
Je suis encore dans une phase où je fais des tests de procédés, de façons de faire. J’ai exploré deux types de portraits : sur le vif au moment de notre rencontre et en studio pour ensuite les mêler en collages avec mes photographies de paysage.
On peut donc dire que je suis encore dans une phase explorative.
C’était important d’être basée à Paris pour cette résidence ?
E. F. D. : Oui tout à fait, puisque cette localisation m’a permis de matérialiser le troisième et dernier volet d’un projet plus vaste qui se concentre sur trois territoires : l’Afrique, les Caraïbes et la France. Cela faisait très longtemps que je voulais développer ce projet et le fait de bénéficier de cette résidence m’a permis de le concrétiser.
J’ai fait un sujet au Sénégal, à Dakar, sur la manière dont les habitants sont inclus dans le plan de développement urbain qui efface les traces du passé et qui n'est pas adapté au mode de vie actuel. Ce premier volet est un questionnement aussi sur la contemporanéité, la place que l'on laisse à l’Histoire passée. Pour le second, j'ai travaillé sur la crise liée à l'environnement, sur les pesticides en Martinique. Et j’avais besoin d’être ici, à Paris, pour traduire la façon dont les personnes afrodescendantes arrivent à se recréer un imaginaire, comment elles arrivent à s'adapter à leur vie en France.
Eric, vous êtes le directeur du centre d'art Les Tanneries, quel est votre rôle en tant que mentor ? Est-ce un exercice auquel vous vous étiez déjà prêté ? Quel est votre retour d’expérience ?
Eric Degoutte : C’était pour moi une première d'être dans ce travail d’accompagnement d'une artiste en situation. De par mes missions, je le suis régulièrement mais sous d'autres formes. Ici, c'était l'occasion de rentrer presque je dirais, dans l'intimité de création d'une artiste en résidence pour un temps court, avec un fil de projet déjà bien identifié.
Très vite, nous avons échangé sur ce qui pouvait être un lien possible à travers ce rapport à la Loire. De par ma localisation (je réside à Orléans et le centre d’art est à Amilly), j'ai une relation étroite avec ce fleuve et j'ai découvert qu’il avait été un vecteur à la fois économique et technique, en termes de voie fluviale, de tout le principe de colonisation. La Loire a été le grenier à grains de la France et le coffre fort des pouvoirs en place qui ont trouvé là les conditions pour financer un certain nombre d’expéditions.
Ce qui était intéressant, c'était de dévoiler comment ce fleuve, qui était une présence masquée dans cette histoire du commerce et de la traite, pouvait devenir aujourd'hui le support possible à ces présences effacées sur lesquelles Elise s’engageait. Notamment par rapport à sa volonté de rencontres et d'échanges avec des femmes qui étaient et sont peut-être aujourd’hui encore dans un rapport d’invisibilité, autre que celui historique mais sur des réalités bien plus contemporaines. On s’est donc interrogés sur ce qu’était l'enjeu de la représentation à travers le portrait et à travers le paysage. Ça a été notre vrai terrain de rencontre.
Votre résidence de recherche vient de toucher à sa fin, comment avez-vous collaboré ensemble ?
E. F. D. : On s'est rencontrés en visio trois mois avant le début de la résidence, ensuite nous avions des rendez-vous réguliers. Et puis, nous avons arpenté les rives de la Loire ensemble. Nous échangions nos idées.
E. D. : C’était important que l’on se rencontre avant, il y avait une nécessité de se découvrir avant que le premier jour de résidence soit effectif. On a beaucoup échangé par écrit aussi pour se partager des informations et des données. Je pense qu'Élise a trouvé les conditions pour avancer sur des cheminements qui lui sont propres, à partir des échanges que l'on avait eus. Nous nous organisions des moments de rencontre à chaque phase de travail, et un peu aussi en fonction de la météo, pour aller marcher sur les bords de la Loire. Et puis des rencontres à la Cité des Arts, jusqu'à l'accrochage.
Quelle suite pour ce projet ?
E. F. D. : Je n’ai pas encore eu le temps de travailler sur cette partie. Je dois trouver de nouveaux moyens pour revenir ici, peut-être à l’occasion d’une nouvelle résidence pour me concentrer sur le rendu final. Mais je pense que la forme la plus immédiate, ce serait une exposition, je dois travailler sur la réalisation, sur les moyens d'impression et les supports.
E. D. : Cette résidence a d'abord été un temps consacré à une réflexion sur le travail engagé par Elise. Je trouve cela intéressant parce que bien souvent, les résidences sont des capsules avec un début et une fin. Ce que je trouve fort, c'est la capacité d'Élise d'inscrire ce temps-là dans la durée de son engagement qui a commencé bien avant et qui va se prolonger ensuite.
Elise, pouvez-vous nous faire un retour d’expérience sur cette résidence qui s’adresse spécifiquement aux femmes photographes ? Auriez-vous des conseils à donner aux femmes photographes qui souhaiteraient participer ?
E. F. D. : Je vis en Martinique, alors je suis vraiment excentrée, cette résidence m’a donné l'occasion d’accéder à une offre culturelle plus riche et m’a offert la possibilité de rencontrer des professionnels, comme ceux qui sont venus à notre rencontre à la Cité des Arts au cours de la résidence.
Je pense que pour des femmes photographes qui sont en milieu de carrière, c’est vraiment cet aspect-là qui est très important, pouvoir accéder à beaucoup de professionnels afin de se constituer un réseau solide qui pourra perdurer.
Et puis, il y a évidemment toutes les interactions possibles avec les autres artistes de la Cité des Arts qui sont très enrichissantes.
Elles & Cité est un programme de résidences de recherche et de création dédié aux femmes photographes en milieu de carrière. A l’initiative et avec le soutien du ministère de la Culture et de la Cité internationale des arts, Elles & Cité reçoit également le soutien de la Fondation Neuflize OBC et de l’ADAGP.
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