Elles font la culture

Introduction

Faire évoluer nos réflexions sur les inégalités systémiques passe également par une ré-articulation de notre manière de les énoncer. Choisir d'être plus inclusives dans ses cartels, ses emails, son phrasé, ses discours… est donc loin d'être anecdotique mais participe au contraire d'un processus plus global d'accompagnement au changement des mentalités par le langage. Pourtant, ce n’est pas toujours chose aisée de bien choisir ses mots.



L’équipe Ellesfontlaculture vous propose cette fiche pratique pour vous aider, tant sur un plan juridique que grammatical, à choisir et vous approprier des techniques de langage pour une communication non-discriminante.



Les champs d'applications de la communication inclusive sont multiples - en école d'art, dans les cartels de lieux d'exposition, dans les administrations, dans nos communications personnelles et professionnelles,.... Il ne s'agit pas par là de complexifier l'existant mais bien de faire de la grammaire un véhicule politique, un pan de la sensibilisation et conscientisation de la lutte contre les inégalités de genre.



NB : cette fiche adresse principalement des notions liées au genre et à l’identification des personnes. Nous n’oublions pas les questions de classes, d’âge, de critères racialisant,… qui imprègnent le langage. - voir à ce sujet une infographie explicative des différents type de “micro-agressions” par themicropedia (en anglais).


À retenir :

Selon la définition de l'ONU : "Par langage inclusif, on entend le fait de s'exprimer, à l'oral comme à l'écrit, d'une façon non-discriminante, quels que soient le sexe ou l'identité de genre de la personne dont on parle ou à qui l'on s'adresse, sans véhiculer de stéréotypes de genre."



L'écriture inclusive est un outil essentiel et participe d'un processus plus global de visibilisation et conscientisation des inégalités.



Elle est légale, autorisée et souhaitable pour toutes les communications au public de la part d’une administration ou d’une institution.



Seule une circulaire du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française rédigée par Edouard Philippe invite les administrations de l’État à ne pas utiliser l'écriture inclusive pour les textes juridiques et les actes administratifs (lois, décrets et arrêtés). Cette même circulaire préconise en revanche la féminisation des fonctions tenues par des femmes et enjoint à recourir à des formulations mixtes.


En détails

I. Pourquoi questionner et faire évoluer notre langage pour le rendre davantage inclusif ?



Notre langue a une histoire, et comme partie d'un tout, elle a beaucoup évolué en fonction du contexte politique, social, économique, sociétal... Peu étonnant donc que notre langue française d'aujourd'hui porte les traces d'une Histoire avec ses biais (sexistes et de genre, racialistes, classistes,...).



L'écriture inclusive est donc un outil essentiel et participe d'un processus plus global de visibilisation des inégalités. Celle-ci est un ensemble de techniques pour :



  • rendre visible et aider à conscientiser les inégalités (de genre ici)


  • adopter un langage moins excluant, non discriminant envers les femmes et minorités de genre


Il serait difficile de faire évoluer les réflexions sur les inégalités systémiques sans passer également par notre manière de les énoncer. "Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément." disait Boileau, poète français du XVII ème siècle. "Ce qui n'est pas nommé n'existe pas." Chloé Delaume, écrivaine et éditrice.



Travailler sur le caractère inclusif du langage n'est donc pas une lubie militante mais bien un outil utile de rhétorique, philosophie et de mobilisation politique.



II. Brève contextualisation : la féminisation du langage n'est pas nouveau; c'est plutôt le processus inverse qui s'est imposé au fil des années



Aujourd'hui, les principaux détracteurices du langage inclusif évoquent l'argument de la grammaire comme quelque chose d'immuable. Des règles, un dogme à respecter. Or, la langue a énormément évolué. Son lexique et sa grammaire se sont enrichies au fil des usages, des moeurs, de sa confrontation avec le langage oral. Elles participent aussi de choix politiques.



A titre d'exemple, la règle que nous apprenons depuis l'école : "le masculin l'emporte toujours sur le féminin" n'est pas juste une praticité du langage. Le démontre une citation de Nicolas Beauzée (1717-1789), membre de l'Académie Française, qui justifie ainsi cette norme :



"Lorsque deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l'emporte (...). Le genre masculin étant plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle."



D'autres événements historiques ponctuent cet historique de "masculinisation de la langue française" :



  • la masculination des formes neutres. "ça pleut" est devenu "il pleut";


  • le possessif "ma" devant les noms communs commençant par une voyelle "ma amie" a était remplacé par "mon"


  • sur la féminisation des professions, le travail d'Elianne Viennot met en lumière les termes autrefois usités qui ont disparus au profit de leur formulation masculine. Ainsi, "autrice" existait jusqu'au XVIIè siècle; "chevalière", "officière" étaient employées jusqu'au XIXè siècle.


  • l'"Homme" avec un grand H pour désigner les deux sexes selon l'Académie en 1648, n'a pas eu de réalité juridique; puisque dans la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyens, les juristes ont édictaient avec ce terme "neutre" des droits qui étaient refusés aux femmes. En découle une précision de la Constitution de 1946 : "la loi garantit à la femme des droits égaux à ceux de l'homme".


III. Quelques outils et techniques de mise en pratique d'une langue inclusive



Quelques conseils pratiques :



  • Privilégier les mots épicènes (qui ne portent pas de marque de genre) ou neutres. ex : spécialiste au lieu d'expert, membre d'un collectif, commissaire d'exposition


  • Remplacer l'accord de genre par un accord de proximité (exemple 1), de nombre (exemple 2) ou de sens. ex : François et Martine sont des photographes et artistes-plasticiennes. Marie, Guillaume et Leila avaient fini leur discours de remerciement. Elles étaient les lauréates du prix de cette année.


  • Utiliser la "double flexion", i.e. une décomposition des termes lorsqu'ils sont genrés. ex : entrepreneuses et entrepreneurs


  • Remplacer par une périphrase quand c'est possible. ex : "Si votre candidature est retenue" versus "Si vous êtes sélectionné.e.s"


  • Choisir l'ordre alphabétique pour l'énumération des deux genres. ex : Les Français et les Françaises; elles et ils...


  • Le point médian : les auteur·ices. (NB : ci-dessous les raccourcis clavier suivant votre système d'exploitation. MAC : Shift + Option + F / PC : alt + 2 + 5 + 0)


NB : le point médian est souvent décrié par les détracteurices de l'écriture inclusive comme "non accessible", i.e. non compréhensibles et utilisables pour les personnes en situation de handicap; comme par exemple les personnes dyslexiques et/ou les personnes utilisant des lecteurs d'écran.

L'argument est un peu fallacieux car il y a peu d'études sur le sujet. La gêne est là mais les personnes dyslexiques s'habituent à leur occurence lorsqu'elle est en nombre raisonnable. Le problème avec les lecteurs écran est certes réel, mais est à relativiser quand on constate des problèmes d'accès encore plus bloquant sur certains sites, comme celui de ne pouvoir se connecter à un service...



En savoir plus en lisant l'article de Julie Moynat sur l'accessibilité des formes d'écriture inclusive



De manière plus expérimentale :



  • Réactiver le neutre avec de nouvelles terminaisons, des pronoms neutres (tels que "al", "ol",...) comme Alphetraz, doctoranx et chargæ d’enseignement en linguistiqueUtiliser des typographies artisanales prenant en compte les genres dans les glyphes de certaines polices de caractères, comme :


  • Le "x" est éminemment politique et se retrouve beaucoup dans les milieux activistes militants, mais aussi dans beaucoup d'institutions hispaniques. Son emploi renvoie aux luttes transgenres et intersectionnelles. ex : étudiantxes, touxtes, womxn,...


  • Utiliser l'astérisque * comme Sam Bourcier, sociologue et maître de conférence à l'université de Lille "l'astérisque a ceci de pratique et de joli qu'il ressemble à une étoile. J'y vois même une paillette, certes esseulée mais une paillette quand même. J'utilise ce signe typo queer camp et kitsh pour les accords en genre et en nombre".


à l'oral, des propositions :



  • Favoriser les formes inclusives qui s'entendent


  • Oraliser le point médian par une pause


  • Alterner les formes masculines et féminines dans un texte.




IV. Qu'en dit le contexte légal et juridique ?



Contrairement à ce que nous renvoie la première réponse de Google à la question "est-ce que l'écriture inclusive est légale" et qui met en exergue une citation d'une proposition de loi citant "l'interdiction formelle de l'écriture inclusive" et même passible d'une amende de 7500 euros, le langage inclusive et sa grammaire sont tout à fait autorisées. Cette proposition de loi présentée en octobre 2022 et "visant à la préservation de la Langue Française" n'a en effet pas été adoptée.



Les textes légaux peinent à définir "l'écriture inclusive" et recourent davantage à une liste d'illustrations de cette pratique lorsqu'il s'agit de la mettre à mal, mêlant ainsi plusieurs formes dont le point médian, l'ordre alphabétique lors de l'énumération de plusieurs sujets à genre variable, le recours à des pronoms neutres (type "iel")...



Son usage reste en revanche bien légal; et donc autorisée dans la communication des administrations et institutions publiques (voir Code de la Relation entre l'Administration au Public, qui exhorte à la pratique du français dans ses échanges avec les citoyens citoyennes, rien de plus).



Seule exception, une circulaire de Edouard Philippe invite les administrations de l'Etat à ne pas l'utiliser dans le cadre des textes juridiques et actes administratifs (lois, décrets et arrêtés). Une circulaire de Philippe Blanquer reprend cette exemple en allant plus loin et en invitant tout le corps enseignant à ne pas l'utiliser dans les "actes d'enseignement".



« Madame de Sévigné s’informant sur ma santé, je lui dis : Madame, je suis enrhumé. Je la suis aussi, me dit-elle. Il me semble, Madame, que selon les règles de notre langue, il faudrait dire : je le suis. Vous direz comme il vous plaira, ajouta-t-elle, mais pour moi, je croirais avoir de la barbe au menton si je disais autrement. »

Mme de Sévigné, épistolière française XVIIè siècle à Gille Ménage


Liens utiles

Pour aller plus loin :



  • présentation par la Direction Interministérielle du Numérique, beta.gouv.fr, via l'équipe pour des "Services numériques inclusifs" : lien


  • Site : le travail D'Eliane Viennot, professeuse émérite de littérature de la Renaissance : lien


  • Site : le blog de Anne-Sophie Tranchet, designeuse User Xperience et Interface


  • Site : le blog de Julie moynat et notamment son article sur l'accessibilité des différentes formes d'écriture inclusive


  • (ANGLAIS) Site, infographie : les microagressions du langage, themicromedia


  • Site : Publications en ligne de Chloé Delaume, Ecriture inclusive : "en Francais la langue reste attaché au phallus"


  • Guide téléchargeable en ligne : Haut Conseil à l'Egalité, 2022 : "Pour une communication publique sans stéréotypes de sexe" : lien


  • Article "contre" : L'Obs, Déclaration de l'Académie française sur l'écriture dite "inclusive", lien article


  • Article "jurisprudence" : Le Parisien, "Paris : l'emploi de l'écriture inclusive validée par la justice", mars 2023, lien


  • Guide téléchargeable en ligne : "Guide Pratique pour un Langage Inclusif en école d'Art" du collectif Club Med


  • Thèse en ligne ou instagram : Elena Mascarenhas, "Le pouvoir des mots genrés du droit français" : lien du site et sur les réseaux instagram : @cherchaire_en_son_genre


Les sources juridiques :



  • Code de la relation entre le Public et l'Administration : lien - seule obligation légale pour l'administration est de communiquer et d'échanger avec les usager.e.s en français


  • Circulaire de Edouard Philippe, nov 2017 : lien - invite l'administration à ne pas utiliser l'écriture inclusive dans les textes juridiques et actes administratifs


  • Circulaire de Philippe Blanquer, mai 2021 : lien - demande l'application des recommandations de la circulaire précédente à l'ensemble de l'enseignement; i.e. au dialogue entre personnes enseignantes et élèves




Sources

Thomas Menant, expert juridique à la DINUM pour son décryptage précieux du cadre législatif et réglementaire; Anne-Sophie Tranchet, designeuse et experte accessibilité; Collectif Club Med pour son atelier à la MEP

Autrices, Auteurs

Le langage est "un instrument de domination et d'émancipation" (Fanny Bernard, Déléguée académique Adjointe au rectorat Aix-Marseille), il est "l'architecte de la pensée" (Jacqueline Costa-Lascoux, sociologue et directrice du Centre National de Recherche Scientifique - CNRS) et il est trop tard "pour être "pour" ou "contre" le français inclusif : il s'est inscrit peu à peu dans les usages et fait désormais partie du paysage actuel de la langue française" (Philippe Monneret, linguiste et professeur à l'université de la Sorbonne).